Soins intensifs : humain, passion et adrénaline

Sakura (fleurs de cerisier)
" Guerrier de la lumière, un symbole de renouveau qui invite à vivre pleinement sa vie "


Parle-moi de ton parcours, de ton travail au quotidien dans ton service, la façon dont tu exerces, quelles sont tes motivations, que trouves-tu d’intéressant dans la spécificité de ton service ?

​Les raisons pour lesquelles j'ai choisi d'être infirmier au départ étaient mon intérêt pour l'aspect médical de la profession, les connaissances du domaine médical ainsi que le fait de se rendre utile à travers cette profession. Je ne me voyais pas travailler derrière un bureau. Aujourd'hui je me rends compte qu'il s'agit surtout en réalité des valeurs que ma maman m'a transmises à travers mon éducation, à savoir :  l'empathie, la bienveillance, l'entraide et l'humanité envers tout être vivant.

J'ai fait mes études à Strasbourg en France et j'exerce depuis 2012 donc depuis neuf ans, mais de 2017 à 2019, parallèlement à mon travail, j'ai réalisé une validation des acquis de l'expérience (VAE) pour obtenir un titre de Bachelor en Soins infirmiers.

J'ai choisi le service des soins intensifs par sa complexité tant sur le plan humain, à savoir le relationnel avec le patient ainsi que sa famille, mais également par rapport à l'aspect des connaissances dans le domaine des soins aigus. Aussi j'aime connaitre mon patient, ses besoins et suivre son évolution sur tous les plans. Cela permet ainsi de réaliser les meilleurs soins possibles, qui permettront sa bonne évolution et surtout se positionner avec lui et pour lui pour prendre les bonnes décisions. Enfin ce que j'aime dans ce service est l'autonomie accordée aux infirmier(e)s dans les soins et la gestion des soins aux patients.

J'ai commencé par un petit service d'urgences en France en clinique pendant une année post diplôme. Par la suite je suis venu en Suisse où j'ai commencé par le service de médecine pendant une année, puis six mois de soins continus en médecine. Parallèlement pendant cette période j'ai été infirmier pompier volontaire en France pendant trois ans. Après un an et demi passé dans le département de médecine, j'ai migré aux soins intensifs adultes du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), service dans lequel je suis maintenant depuis bientôt six ans.

Ma motivation principale vient des personnes avec qui je travaille, le fait de travailler en équipe est très enrichissant. Travaillant en 12h et dans un service prenant psychologiquement et physiquement, l'équipe est une réelle ressource. Le fait d'être soudés, bienveillants, à l'écoute et surtout rire au travail avec eux me permet vraiment de prendre du plaisir et de décompresser. Notre service a fortement été impacté par le COVID tout comme nos conditions de travail, et le bilan est lourd pour beaucoup de nos collègues. Le personnel soignant/médical est très fatigué après une année très intense. Cela a laissé des marques dans les équipes de plusieurs secteurs hospitaliers. Nous sommes humains et forcément ces conditions nous impactent, même si nous essayons de relativiser par rapport à d'autres pays, où les moyens sont dramatiques, comme par exemple le Brésil ou l'Inde. Aussi beaucoup de mes collègues ont également été touchés dans leurs familles par le COVID et perdus un ou plusieurs membres de leurs familles, tout comme moi. Pour ma part, cela a changé ma vision des choses, avoir été de l'autre côté du miroir m'a rendu encore plus attentif aux besoins des familles et comprendre leurs inquiétudes. J'essaie vraiment de faire de mon mieux pour les tenir informé des évolutions et si besoin adapter le cadre à certaines situations. Nous restons des êtres humains et comprenons leurs besoins. J'exerce à 80%, j'ai progressivement diminué après cette année de pandémie qui a été rude tant physiquement que psychologiquement, et par laquelle j'ai également été touché personnellement par la perte de ma maman. Cette diminution de pourcentage me permet de libérer plus de temps pour moi, me ressourcer un peu plus et trouver la force de continuer dans un environnement où l'on s'oublie très vite.

 

Trouves-tu que ton expertise infirmière soit valorisée sur ton lieu de travail et peux-tu mettre en pratique les compétences apprises lors de tes études ?

​Je trouve que dans l'ensemble mon expertise infirmière est valorisée dans mon travail. Venant de France et ayant fait ma formation là-bas, où l'expertise infirmière est souvent mise au second plan derrière la gestion médicale, ici j'ai redécouvert ma profession. Une partie de moi reste quand même frustrée, car cette expertise est loin d'être complètement valorisée.  On en veut toujours plus et je pense qu'il reste un long chemin afin que cette expertise infirmière se distingue encore plus et devienne indépendante au bénéfice de la profession, comme dans les pays anglo-saxons.

Lors de mes études en France nous n'apprenions pas l'auscultation, ce que j'ai découvert aux soins intensifs à mon arrivée, puis lors de ma VAE en soins infirmiers. A contrario, en France je savais réaliser une gazométrie artérielle, mais on ne m'avait pas appris à l'interpréter, ici je ne peux pas piquer en artériel, mais réaliser les prélèvements directement sur le cathéter artériel et ensuite j'interprète les résultats. Après cela je peux réaliser des modifications sur le respirateur si le patient est intubé, afin de corriger les soucis liés à l'oxygénation ou d'ordres électrolytiques. L'avantage aux soins intensifs est que nous avons une grande liberté et nous anticipons énormément de choses de manière bien encadrée sur l'aspect médical à travers les feuilles d'ordres, ainsi que les protocoles de service.

 

Penses-tu que l’art ait sa place dans des soins de qualité ?

Totalement, je pense que le soin est un art, ne serait-ce que par l'individu qui réalise le soin. Chaque individu est différent est amène sa personnalité, son expérience, ses ressources, ses centres d'intérêts et de ce fait la relation avec le patient peut être totalement différente d'une personne à l'autre. Je pense que l'art, comme beaucoup d'autres ressources ont leurs places dans les soins, comme par exemple les thérapies naturelles. Ce domaine est en pleine expansion, mais nous avons encore du retard et beaucoup de progrès à faire dans ce domaine. 

Quand on sait qu'en Chine certaines opérations à cœur ouvert se font sous hypnose ou acupuncture et ainsi n'utilisent que 10-20% des doses de médicaments d'anesthésie utilisés ici !  La médecine occidentale a beaucoup à apprendre des autres types de médecines dites alternatives, afin de compléter et optimiser la prise en charge holistique. Je pense que tout ce qui peut faire du bien à une personne doit être considéré comme partie intégrante du soin. Pour une personne, l'art peut s'exprimer par le dessin, la peinture, la musique... selon sa personnalité.

 

Que penses-tu de mettre en lumière de manière artistique la profession infirmière à travers le body art et la mise en beauté ?

Je trouve que c'est une très belle initiative de mettre la profession infirmière en lumière, d'autant plus par une infirmière elle-même. Les personnes dans ce domaine ont souvent tendance à s'oublier, de par la charge de travail et le rythme que cette profession impose. Ainsi, de remettre en avant ce que font ces soignants permet de leurs rappeler à leur tour que ce qu'ils font est un art.

 

Penses-tu que l’aspect artistique de ce projet puisse renforcer de manière positive l’initiative populaire pour des soins infirmiers forts ?

Je l'espère, dans tous les cas il s'agit d'une manière de mettre en avant la profession, je pense que c'est à nous de nous réunir et de sensibiliser les gens autour de nous. Également comme tu le fais en mettant en avant un professionnel à travers ton art permet cela mais aussi grâce à ce questionnaire en nous donnant la parole, ce qui est plutôt rare. Tout le monde aimerait que les personnes qui prennent soin de leur enfant, frère ou sœur, parents ou grands-parents soient rétribuées à leur juste valeur. Pour prendre soin des personnes il faut d'abord prendre soin de nous, afin d'être le plus réceptif et bienveillant envers l'autre. Autrement la réalité de l'autre s'éloigne de nos perceptions. Votez pour cette initiative pour améliorer les conditions de soins, car qui sait, demain vous ou un de vos proches aurez besoin de nous.

 

Penses-tu que l’aspect esthétique que je propose amoindri les aspects professionnalisants que nous revendiquons au travers de cette initiative ?

Non au contraire, elle révèle l'individualité de chacun qui, sous la blouse blanche, noyé dans la masse de l'uniforme monochrome, ne cherche qu'à s'exprimer. Sous chaque blouse, il y a une personne avec son expérience, ses valeurs, sa culture, sa spiritualité, son caractère... Autant de diversités qui sont une force et font des soins infirmiers un art à l'image de cette profession.

 

Penses-tu qu’il soit important pour une infirmière d’apprendre à prendre soin d’elle et de renforcer son estime de soi, son bien-être personnel, de reconnaître ses forces et faiblesses et de savoir se positionner pour être une infirmière épanouie et efficace au sein des équipes et avec les patients ?

C'est essentiel, je pense qu'actuellement c'est la clé d'un épanouissement professionnel. Malheureusement, il faut d'abord penser à soi et se protéger, car on a tendance à vite s'oublier et la saturation physique et psychologique nous guette alors. Je pense que la meilleure façon de soigner les autres est de penser à soi d'abord, aux côtés de ses amis, sa famille et/ou à travers une passion, des projets personnels ou de carrière. Tout cela permet de puiser dans des ressources, afin d'être le plus serein possible en face des patients et leurs familles. Et oui, bien sûr qu'il faut se positionner pour faire avancer la profession et améliorer les soins, cela passera par l'unité et l'engagement de chacun. Nous sommes tous des êtres humains et avons des forces et faiblesses, c'est ce qui fait notre diversité et notre personnalité. Le travail en équipe permet vraiment d'être complémentaires et les collègues deviennent alors une ressource importante. Nos faiblesses deviennent souvent une force, tout dépend de notre mindset.

J'aime cette citation : « La douceur de la vie dans sa simplicité la plus pure rappelle qu'il faut profiter d'elle envers et contre tout. La vie n'était plus une rivale, mais une alliée. Alliée exigeante, sévère, mais alliée tout de même. » et je conseille le livre « l’éloge de la faiblesse » d’Alexandre Jollien.

 

Si tu avais un souhait, que changerais-tu pour la communauté des infirmières et de tous les soignants ?

De meilleures conditions de travail et une plus grande reconnaissance de la part de la communauté.

 

Si tu pouvais changer de voie que ferais-tu ?

Probablement architecte d'intérieur ou décorateur, j'aime les émissions de rénovations, voir le avant/pendant/après ou alors paysagiste, car j'aime les beaux extérieurs.

 

Le mot de la fin ?

​Parfois il faut savoir sortir du cadre et avoir plus de souplesse, pour mettre en avant notre humanité.


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